Cet article est publié dans la catégorie Billets de libre expression. Il s’agit de donner l’opportunité à des étudiant.e.s en sciences politiques de travailler sur des sujets portant sur la solidarité internationale ou l’Afrique en général en fonction de leurs centres d’intérêts et de valoriser leur engagement associatif étudiant dans une perspective de professionnalisation. Le contenu, bien que sourcé, ne se veut pas exhaustif et reflète leurs réflexions personnelles au moment de l’écriture. Il ne s’agit en aucun cas de la position collective de l’association.

Le 1er décembre 2020, Amnesty International dénonce « une répression croissante des voix dissidentes par les autorités togolaises depuis la réélection du président Faure Gnassingbé pour un quatrième mandat en février ». Ce petit pays de 7,4 millions d’habitants situé au bord du Golfe de Guinée, est dirigé d’une main de fer par la famille Gnassingbé depuis cinquante-trois ans. Avec un PIB par habitant d’environ 672 dollars et un taux de pauvreté de 53,5% en 2017, le Togo fait partie des pays les moins avancés. Ainsi, la Banque Africaine de Développement identifie comme principaux obstacles le peu de diversification de l’économie, la faible valeur ajoutée manufacturière et l’importance de l’économie informelle. Si les réformes engagées par les autorités togolaises ont permis l’amélioration du climat des affaires, élevant le Togo parmi les pays plus réformateurs du monde (classement « Doing Business »), cette impulsion économique est reinée par une violente crise politique.

Le rapport d’Amnesty International fait écho aux élections présidentielles du 22 février 2020. Celles-ci ont conforté le Président Faure Gnassingbé dans ses fonctions, après quinze ans d’exercice du pouvoir, succédant aux trente-huit années sous le mandat de son père. Faure Gnassingbé a remporté l’élection avec 70,78% des voix, quand son principal opposant, l’ex-Premier Ministre Agbéyomé Kodjo, chef-de-file du parti DMK (Dynamique Monseigneur Kpodzro, soutenu par l’archevêque émérite de la capitale, Lomé) a récolté 19,46% des suffrages. L’opposition rejette ces résultats, dénonçant des bourrages d’urnes — soupçons corroborés par le refus du gouvernement de la présence d’observateurs dans les bureaux de vote.

L’opposition togolaise se trouve aujourd’hui divisée, déstructurée, et réprimée. Quelques mois après les élections, trois journaux proches de cette opposition, L’Alternative, Liberté et Fraternité, ont été suspendus par la Haute Autorité de l’audiovisuel et de la communication. Les opposants sont aussi sujets à de nombreuses intimidations et arrestations, sur fond de harcèlement judiciaire. Dans ce contexte, deux figures majeures de DMK ont été interpelées suite aux contestations de la victoire de Gnassingbé. D’abord, une figure forte de soutien au parti : Brigitte Adjamagbo-Johnson, première femme à se présenter aux présidentielles togolaises en 2010, leader de la Convention démocratique de peuples africains. Puis Gérard Djossou, menotté pendant dix heures sans présence d’un avocat et passé à tabac lors de son arrestation, a été placé en garde-à-vue pendant plus de huit jours. En guise de justification, le gouvernement invoque des motifs de sécurité intérieure : en l’occurence, les deux opposants arrêtés étaient accusés de mener des plans de destabilisation de la République. Le front citoyen Togo Debout souligne une instrumentalisation de la justice et le déploiement d’une stratégie de terreur. S’entérine donc une tendance à l’usage décomplexé de l’arbitraire pour faire taire l’opposition. En outre, la pandémie fait le lit du renforcement du contrôle de la population. Si de nombreuses bavures policières s’accumulent lors des contrôles de respect du couvre-feu, les restrictions sanitaires servent également de prétexte à l’interdiction des manifestations contre le pouvoir en place. Ainsi, l’appel aux habitants de Lomé, le 28 novembre dernier, à descendre dans la rue pour dénoncer la manipulation des élections, s’est vu prohibé.

Le fléau de l’autoritarisme fragilise le Togo depuis un demi-siècle. Jean-François Médard, ancien professeur à l’Institut d’Etudes Politiques de Bordeaux, dans son article « Autoritarismes et démocraties en Afrique noire », établit une typologie des régimes post indépendances jusqu’aux années 90. A ce titre, il qualifie le Togo d’ « autoritarisme pur ». Ce régime se distingue par une violence monopolisée par des administrations répressives et professionnalisées, dépourvues toutefois d’une logique de terreur. Si la contrainte et l’élimination existent, le régime repose davantage sur la peur, permanente et insidieuse. Jean-François Médard y associe donc la pratique du néo-patrimonialisme. Les normes bureaucratiques qui définissent le système se combinent à des normes patrimoniales. Si le pouvoir est institutionnalisé (les postes existent indépendamment de leurs titulaires, et un certain niveau de compétence est requis pour y accéder), l’accès aux hauts postes dépend, en dernier recours, de la faveur du prince.

L’autocratie togolaise plonge ses racines dans un coup d’état militaire à la fin des années 60. Suite à l’indépendance du Togo en 1961, Eyadéma Gnassingbé a pris part à l’assassinat du premier Président togolais, Sylvanus Olympio. Militaire de carrière, il était membre de l’armée coloniale (a combattu en Indochine et en Algérie). Cet assassinat de 1963 ouvre la voie à son ascension politique : il devient chef de l’Etat-Major, avec le grade de colonel, et prend le pouvoir en 1967. Dans ce cadre, il cumule les fonctions de Président, chef du gouvernement, et ministre de la Défense, et dissout toutes les organisations de la société civile. Le monopartisme est instauré en 1969, suite à la création du Rassemblement du Peuple Togolais. Son régime s’appuie sur une armée forte et nombreuse, issue principalement du groupe ethnique de Gnassingbé, les Kabyés. (Nord du pays). L’exercice du pouvoir se base sur une politique dite authentiquement africaine. Cependant, l’année 1974 marque une nette radicalisation du régime : Eyadéma Gnassingbé est victime d’un grave accident d’avion, dont il sort indemne. Ainsi, cet évènement décuple l’obsession sécuritaire du Président, qui débouche sur un regain de violence et une corruption endémique. De surcroît, cela nourrit un culte de la personnalité autour de la personne du Président, sacralisée, intouchable. Chaque élection affirme un véritable plébiscite pour sa personne. A sa mort en 2005, son fils, Faure Gnassingbé, prend sa suite. Ainsi, ses opposants le surnomment « petit Gnass ».

Cette succession est caractérisée par une indéniable perpétuation de l’autoritarisme. Eu égard à la passation obscure du pouvoir, caractérisant davantage une monarchie héréditaire qu’une République, de nombreuses manifestations ont éclaté en 2005. Celles-ci se sont vues réprimées par le sang, déplorant pas moins de cinq cents morts. De nouveaux tumultes ont émergé en 2017, lorsque Faure Gnassingbé a fait réviser la Constitution, qui prévoyait une limite de deux mandats présidentiels, afin de pouvoir se représenter en 2020. Nonobstant, le parti au pouvoir contrôle toutes les instances décisionnelles, se traduisant surtout par une omniprésence militaire. Le système se trouve donc totalement verrouillé, d’autant plus qu’il bénéficie du silence de la communauté internationale.

En effet, les réformes économiques menées par le gouvernement tendent à satisfaire les exigences des institutions financières internationales. De fait, la Banque Mondiale a récemment accordé une enveloppe de 150 millions de dollars au gouvernement Gnassingbé pour améliorer le réseau électrique du pays, promouvoir les énergies renouvelables et rationaliser la gestion de la dette et des finances publiques. Cette complaisance des bailleurs de fonds et des partenaires commerciaux (principalement Chine et Russie) fait obstacle à toute pression de la communauté internationale. Par ailleurs, la cécité de l’Union Européenne s’explique par le danger représenté par les groupes terroristes sévissant dans la région. Ceux-ci privilégient donc la stabilité du régime togolais, dont l’armée joue un rôle
fondamental dans la lutte contre les groupuscules de la zone Sahel, notamment au Burkina Faso, au Nord du Togo. Dès lors, les perspectives d’ouverture du régime togolais sont assez peu optimistes pour les années à venir.

Lou Mottin

Sources :

Four, Jean-Marc, « La dynastie Gnassingbé règne sur le Togo depuis 53 ans », in Franceinfo, 21/02/2020. https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/un-monde-d-avance/la-dynastie-gnassingberegne-sur-le-togo-depuis-53ans_3815503.html

Macé, Célian, « Togo : un quatrième mandat à portée de main pour Faure Gnassingbé », in Libération, 21/02/2020. https://www.liberation.fr/planete/2020/02/21/togo-un-quatrieme-mandat-a-portee-demain-pour-faure-gnassingbe_1779252/

Lepidi, Pierre, « Au Togo, Faure Gnassingbé investi président, l’opposition continue à contester l’élection », in Le Monde, 03/05/2020. https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/05/03/au-togo-faure-gnassingbe-investipresident-l-opposition-continue-a-contester-l-election_6038504_3212.html

Banque Mondiale, WB (08/09/2020). Rapport sur la situation économique au Togo : la crise du coronavirus met l’économie sous tension. https://www.banquemondiale.org/fr/country/togo/publication/economic update-for-togothe-coronavirus-is-exerting-pressure-on-the-economy

Eboulé, Christian, « Au Togo, la pauvreté persiste en dépit de la reprise économique », in TV5Monde, 21/02/2021. https://information.tv5monde.com/afrique/au-togo-la-pauvrete-persiste-en-depit-de-lareprise-economique-347716

Banque Africaine de Développement, ADB (2020). Perspectives économiques au Togo. https://www.afdb.org/fr/countries/west-africa/togo/togo-economic-outlook

Lepidi, Pierre, « Au Togo, Faure Gnassingbé en route vers un quatrième mandat présidentiel », in Le Monde, 20/02/2020. https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/02/20/au-togo-faure gnassingbe-en-routevers-un-quatrieme-mandat-presidentiel_6030260_3212.html

R. Nakanabo Diallo, 2020. « Séance 8 : L’exercice du pouvoir en Afrique postcoloniale ». Cours Etat et gouvernement en Afrique. Sciences Po Bordeaux.

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